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Introduction à la musique de Iannis Xenakis :

Première partie : Trajectoires 

Chapitre 1 : L’épopée

Makis Solomos

« Le point de départ est mon désir de vivre — c'est-à-dire de faire, de créer quelque chose, avec mes mains, avec ma tête ».

Iannis Xenakis

La première trajectoire de Xenakis se laisse raconter comme une épopée. Son début est caractérisé par l'élaboration d'un monde intellectuel spécifique. Puis, survient le moment, incontournable, des grands bouleversements historiques, qui obligent le futur compositeur à fuir sa patrie. L'installation en France correspond à l'éveil du musicien, qui cherche sa voie. Quatrième époque : la poussée devenue légendaire des deux premières œuvres reconnues, Metastaseis et Pithoprakta . L'épopée se clôt avec la période la plus connue de Xenakis, qui culmine avec la publication d'un livre, Musiques formelles, une période dont la réinterprétation est devenue nécessaire.

1. Braïla et Spetses (1921-1938)

Enfance

Iannis Xenakis est né en 1921 ou 1922, un 1er ou un 29 mai [1] , à Braïla, port roumain caractéristique des Balkans du début du siècle, où se côtoient des communautés grecques, juives ou arméniennes. Les Xenakis, une famille aisée de commerçants, font partie de la première. Le père, Clearchos, est le fils aîné d'un commerçant de l'île de Naxos (Cyclades) qui s'installa en Roumanie. Il avait envisagé la voie cléricale, mais, à la mort de son père, pour subvenir aux besoins de sa famille, il entre dans les affaires. A la naissance de Iannis, il est l'agent d'une affaire britannique d'import-export. La mère, Photini Pavlou, est la fille d'un industriel de Braïla originaire de l'île de Lemnos (nord de la mer Egée). Avant d'épouser Clearchos, de dix sept ans son aîné, elle fut éduquée dans un couvent, où elle apprit le piano ainsi que plusieurs langues. La famille a deux autres fils, plus jeunes que Iannis. Durant la petite enfance du futur compositeur, les Xenakis mènent une vie paisible. Puis, survient le drame. Sa mère, à laquelle il doit ses premières impressions musicales, tombe malade et meurt d'une méningite. Le père se retranche alors dans les affaires et les enfants sont confiés à des gouvernantes.

Adolescence

Après l'école primaire, en automne 1932, Clearchos souhaite envoyer Iannis en Suisse, mais y renonce devant le coût élevé du projet. Il opte finalement pour leur terre d'origine : un collège privé greco-anglais, qui vient d'être fondé dans l'île de Spetses (golfe argolique) et qui jouit d'une très bonne réputation (il recrute ses élèves dans la bourgeoisie athénienne ainsi que parmi les Grecs de l'étranger). Outre un enseignement de haut niveau, ce collège met l'accent sur l'exercice physique, dont Xenakis conservera le goût. Le premier contact avec ses camarades est problématique : il parle le grec avec un certain accent étranger et, de plus, il a pris quelque retard sur son développement intellectuel. De ce fait, il prolonge son expérience de la solitude et se retranche dans la lecture. A travers des ouvrages tels que les romans de Jules Verne ou un traité de vulgarisation d'astronomie, il s'intéresse aux sciences. Puis, il découvre la littérature antique. Au niveau intellectuel, l'adolescence du compositeur dut donc être décisive : ses deux références majeures, les sciences et l'Antiquité, sont déjà présentes. Par contre, elle le fut beaucoup moins quant à la musique. Comme tous les autres élèves du collège, Xenakis apprend le solfège, participe à la chorale (qui chante du Palestrina , entre autres) et, s'il n'arrive pas à s'échapper, se rend le dimanche à l'église pour assister à la liturgie byzantine. Il est cependant impressionné par les sons de piano qui résonnent dans tout le collège lorsque le professeur de musique joue pour son propre plaisir. Surtout, il participe aux séances d'écoute au gramophone organisées par le nouveau proviseur anglais — avec lequel il se liera —, qui lui font découvrir les Concertos brandebourgeois et certaines œuvres de Beethoven .

2. De la Grèce antique à la Grèce moderne (1938-1947)

Un jeune homme solitaire

A la sortie du lycée, l'automne 1938, Xenakis s'installe à Athènes pour préparer le très difficile concours d'entrée du Polytechneio, l'Université scientifique. Il aurait souhaité étudier la physique et les mathématiques, mais il se prépare pour des études d'ingénieur civil. Il vit chez son oncle et poursuit sa vie de solitaire. Ses loisirs sont faits de longues promenades en bicyclette aux alentours d'Athènes, pour se perdre dans la nature ou pour visiter le tertre du Marathon. Il lit beaucoup, notamment les dialogues de Platon et se passionne de plus en plus pour tout ce qui concerne la Grèce antique. « Dans ma jeunesse, je pensais que j'étais mal né, vingt cinq siècles trop tard », confiera-t-il à François Delalande (1997) ; et, pour commenter cette période de sa vie, il dira à Bálint Varga (1996 : 15) : « Finalement, j'ai développé pour moi-même un univers particulier qui n'avait rien à voir avec la vie qui m'entourait ». Il prend des cours de piano, mais semble déjà s'orienter vers la composition. Il débute des études théoriques (harmonie, contrepoint et un peu d'orchestration) avec un Grec de Géorgie, Aristotelis Koundourov [2] , sous l'impulsion duquel il apprend par cœur toutes les parties du Requiem de Mozart . Parallèlement, il s'efforce de transcrire graphiquement du Bach . Il finit par réussir le concours d'entrée du Polytechneio en 1940, année durant laquelle son père, voyant venir la guerre, s'installe aussi à Athènes, réunissant ainsi la famille et réussissant à la faire vivre sous l'Occupation malgré la perte de sa fortune.

La tragédie grecque moderne

A partir de septembre 1940 et jusqu'en automne 1947, date à laquelle il est obligé de fuir la Grèce, la vie de Xenakis se confond avec l'histoire politique de ce pays, une histoire complexe durant laquelle les événements se précipitent et qui mène de l'Occupation à la Guerre Civile, en passant par l'intervention militaire britannique pour éliminer l'ancienne Résistance (communiste, socialiste ou anti-monarchiste) et une période où les membres de cette dernière sont persécutés [3] . En effet, en octobre 1940, le jour où Xenakis apprend son succès au concours d'entrée, l'Université ferme ses portes, car débute la guerre entre l'Italie et la Grèce ; elle réouvre et referme à plusieurs reprises et le futur compositeur réussit à achever ses études en février 1946, mais avec l'esprit ailleurs. De même, pendant ces années, la possibilité de concrétiser son désir de faire de la musique s'éloigne et prend les proportions d'un rêve ; il continue pendant un certain temps à étudier avec Koundourov (pour lequel il écrit même quelques monodies sur des poèmes de Sappho ), mais la réalité politique prend le dessus et il s'y donne intégralement, corps et âme.

Dès la fin 1941, Xenakis s'engage dans la résistance : après quelques contacts avec des groupes de droite, il rejoint l'EAM ; finalement, pour reprendre les mots qu'il adresse à Bálint Varga (1996 : 17), « la politique réaliste et déterminée poursuivie par le Parti Communiste m'a convaincu et je m'y joignis ». Sous l'Occupation, il participe activement à la résistance, non armée, qui se déploie à Athènes. Nouritza Matossian (1981 : 19-20) évoque son engagement total, qui lui permit de rompre avec sa solitude et de se découvrir en harmonie avec son époque et ses contemporains. Lors des événements de décembre 1944, il se bat, au sein de la fameuse compagnie « Lord Byron », contre les soldats britanniques [4] . Il est grièvement blessé par un éclat d'obus dans l'attaque d'un char anglais avec des cocktails molotovs et des grenades confisquées aux Allemands. Hospitalisé en janvier 1945, il reprend les activités politiques semi-clandestines en mars. Il est arrêté à plusieurs reprises. Il est appelé à l'armée « nationale » que le gouvernement a créée après les accords de février 1945. Du fait de sa blessure, il pense en être exempté. Tel n'est pas le cas. Sur place, il s'aperçoit que les officiers sont des gens notoires de l'extrême-droite (anciens collaborateurs des Allemands) et entend parler des camps de concentration qui viennent d'ouvrir à l'intention des anciens résistants de gauche. Il est d'ailleurs reconnu et risque d'y être envoyé. Il déserte et entre dans la clandestinité — en 1947, il sera condamné à mort « à titre politique et comme terroriste » et, en 1951, un tribunal militaire le condamnera « par défaut à dix ans de prison comme déserteur » et le déchoira de sa nationalité grecque. En septembre 1947, grâce à son père, il se procure un faux passeport et embarque pour l'Italie. De là, il arrive à Paris en novembre et il s'y fixera, sans atteindre les Etats-Unis comme il l'avait espéré au départ.

On l'aura compris, cette période de la vie de Xenakis ne fut nullement propice à des développements musicaux. Mais elle le confirma sans doute dans la conviction que seule la création constitue une voie de salut. Son extrême capacité de distanciation (d'abstraction) par rapport à la réalité sera son moyen le plus efficace — à défaut d'une période normale de formation. Cette capacité se révèle avec toute sa force dans la description qu'il fournira plus tard des manifestations qu'il vécut durant l'Occupation ou au début des événements de décembre 1944  :

« Tout le monde a observé les phénomènes sonores d'une grande foule politisée de dizaines ou de centaines de milliers de personnes. Le fleuve humain scande un mot d'ordre en rythme unanime. Puis un autre mot d'ordre est lancé en tête de la manifestation et se propage à la queue en remplaçant le premier. Une onde de transition part ainsi de la tête à la queue. La clameur emplit la ville, la force inhibitrice de la voix et du rythme est culminante. C'est un événement hautement puissant et beau dans sa férocité. Puis le choc des manifestants et de l'ennemi se produit. Le rythme parfait du dernier mot d'ordre se rompt en un amas énorme de cris chaotiques qui, lui aussi, se propage à la queue. Imaginons de plus des crépitements de dizaines de mitrailleuses et les sifflements des balles qui ajoutent leur ponctuation à ce désordre total. Puis, rapidement, la foule est dispersée et, à l'enfer sonore et visuel, succède un calme détonant, plein de désespoir, de mort et de poussière. Les lois statistiques de ces événements vidés de leur contenu politique ou moral, sont celles des cigales ou de la pluie. Ce sont des lois du passage de l'ordre parfait au désordre total d'une manière continue ou explosive. Ce sont des lois stochastiques » (Musiques formelles : 19).

Un Chostakovitch en aurait extrait une symphonie à programme. Peut-être parce qu'il fut au cœur de ces événements, Xenakis choisit l'extrême distanciation [5]  : est ainsi introduite la notion de probabilité en musique, avec laquelle le futur compositeur fera son entrée fracassante dans l'avant-garde. Mais nous n'en sommes pas encore là.

3. La période de formation (1947-1953)

Le Corbusier

Xenakis arrive à Paris avec peu d'argent en poche. Les premiers mois, il est pris en charge par une organisation de réfugiés, grâce à ses amis communistes. Grâce à des anciens camarades du Polytechneio, il trouve finalement du travail chez Le Corbusier , chez qui il restera jusqu'en 1959. Il entre chez le célèbre architecte au moment où celui-ci et son équipe travaillent sur l'Unité d'habitation de Marseille. Durant cette période, il y est employé comme ingénieur. Puis, avec l'Unité d'habitation de Nantes-Rézé, il se voit confier des tâches plus créatives et commence à développer des relations personnelles avec Le Corbusier . Il prend de plus en plus d'initiatives, mais sans encore être véritablement actif en tant qu'architecte (tâche pour laquelle il n'avait pas été formé et qu'il apprend sur le tas), comme il en ira pour la construction du couvent de La Tourette. C'est aussi pendant cette époque (en 1950), qu'il rencontre sa future femme, Françoise, qu'il épousera en 1953.

Il serait difficile de détailler cette partie très importante de l'activité de Xenakis dans un cadre aussi étroit. Cependant, le lecteur doit prendre en compte le fait que l'incidence de Le Corbusier et, surtout, du travail personnel que le compositeur fournit chez lui, sera considérable sur sa musique : à côte des références à l'Antiquité d'une part, à la science, d'autre part, ce travail constitue le troisième élément capital qui s'avère déterminant non seulement pour sa percée, mais aussi pour une grande partie de toute son œuvre. A son expérience d'ingénieur, puis d'architecte, la musique de Xenakis doit au moins deux choses : le goût et la possibilité d'effectuer des calculs élaborés, mais toujours pragmatiques — c'est pourquoi ils ne dériveront jamais vers la mystique du nombre qui envahit une partie de l'avant-garde musicale du début des années 1950 ; la méthode graphique (un certain nombre d'œuvres sont des « transcriptions » de dessins sur du papier millimétré). Ce dernier élément entraîne une conséquence importante : une conception globale et spatialisante de la musique.

De Honegger à Messiaen

Une fois le problème financier réglé — mais qui l'oblige à mener une double vie pendant douze années : il compose les soirs, à ses moments de loisir et même, durant les heures du déjeuner —, Xenakis a hâte de concrétiser enfin son rêve de devenir compositeur. Conscient de ses lacunes et très peu sûr de lui-même, il cherche un maître. Il s'inscrit à l'Ecole Normale de Musique en 1948. Une grande déception l'attend : Arthur Honegger , qui y enseigne, n'est pas tendre avec ses essais compositionnels — il lui reproche notamment des quintes parallèles… Il contacte ensuite Nadia Boulanger , qui lui explique, selon ses propres dires, qu'il n'était pas « suffisamment mûr et qu'elle était trop âgée pour s'occuper d'un garçon de [son] âge » (Bálint Varga , 1996 : 26). Toujours à l'Ecole Normale, en 1949, il fréquente épisodiquement Darius Milhaud , apparemment sans trop de succès non plus. Survient alors, en 1950, la rencontre décisive — comme pour tant d'autres jeunes compositeurs de l'époque - avec Olivier Messiaen . Xenakis n'a pas passé le concours d'entrée du Conservatoire de Paris, où loge la classe atypique de Messiaen, mais celui-ci le laissera suivre ses cours. Il lui prodiguera des conseils très ouverts sur ses compositions jusqu'en 1952 et lui donnera une impulsion décisive en le laissant rechercher sa propre voie : « Iannis Xenakis est certainement l'un des hommes les plus extraordinaires que je connaisse. On a beaucoup parlé de notre première rencontre, et du fait que je lui avais conseillé de renoncer aux études musicales classiques. Ma position était peut-être folle pour un professeur du Conservatoire, mais le personnage que j'avais devant moi était un héros, ne ressemblant à aucun autre, et je n'ai fait que mon devoir. La suite a confirmé ce que ce premier mouvement m'avait fait pressentir », dira Messiaen (1981: 19) plus tard.

De la grécité à l'abstraction

Des premières œuvres de Xenakis, celles qui seront qualifiées ici  d'« œuvres de la période de formation », c'est-à-dire écrites avant Metastaseis  et composées de 1947 à 1953, il nous reste [6] quelques brèves compositions pour piano (1949-50), une suite pour piano intitulée Six chansons (1950-51), un duo instrumental (Dhipli Zyia, 1952, violon et violoncelle), un trio avec voix (Zyia, 1952, soprano, flûte et piano ; il existe aussi une version pour le même effectif plus un chœur d’hommes), Trois poèmes (1952, voix récitante et piano), La colombe de la paix (1953, alto et chœur mixte), ainsi que deux morceaux importants, la . Procession vers les eaux claires; Procession vers les eaux claires (1953, pour chœur et orchestre) et . Le Sacrifice; Le Sacrifice (1953, pour orchestre), qui inaugurent le triptyque intitulé Anastenaria dont Metastaseis devait initialement constituer selon une hypothèse, la troisième partie. Seuls le duo instrumental et Le Sacrifice ont été joués à l'époque.

Les goûts musicaux du Xenakis de cette période n'ont pas changé par rapport à son évolution ultérieure. Il refuse le néoclassicisme ambiant, mais aussi le dodécaphonisme viennois [7] , duquel partirent la plupart de ses contemporains avant-gardistes. Il apprécie Debussy et Ravel [8] car ils évoquent pour lui l'esprit de la Grèce antique (cf. Xenakis, 1986 : 161). Cependant, par le truchement de Bartók , non pas tellement au niveau du résultat sonore que de l'esprit, c'est à une autre source que se raccordent ses œuvres de la période de formation : la musique populaire grecque.

Xenakis n'a pas rompu avec les idéaux qui l'ont obligé à fuir la Grèce [9] . S'il en a abandonné l'aspect strictement politique, il persévère en partie dans leur composante culturelle, qui s'identifie avec une tentative de ressourcement dans la musique populaire. Dès le début, il évite l'écueil de cet idéal, à savoir, l'académisme néo-tonal teinté de quelques références à une culture populaire figée, que symbolise en Grèce l'école toute puissante de Kalomiris et de ses élèves (l'école « nationale »). En 1955, il publie dans Epitheorisi technis, la célèbre revue de la gauche culturelle grecque de l’époque, un de ses tous premiers articles, dont le titre est significatif : « Problèmes de la composition musicale grecque ». Tout en prônant que « le jeune compositeur grec […] doit rechercher des moyens expressifs et structuraux dans les musiques démotique [musique populaire rurale] et ecclésiastique [byzantine] d'un côté et dans les découvertes d'avant-garde de la musique européenne de l'autre », il souhaite éviter les « erreurs » de compositeurs tels que Kalomiris ou Petridis , « qui, certes, ont pris des mélodies grecques, mais les ont habillées avec les vêtements harmoniques, polyphoniques et instrumentaux de l’Allemagne du XIXe siècle, de sorte que tout caractère grec en fut détruit » (Xenakis, 1955a = Keimena : 188 = Présences de / Presences of Iannis Xenakis : 14).

Les références à la musique populaire se feront de mémoire ou, fait symptomatique, par le biais des études de l'ethnomusicologue Samuel Baud-Bovy . La preuve flagrante que nous sommes dans un contexte bartókien et non pas dans le cadre d'une « école nationale », est que Xenakis puise dans la musique populaire des éléments structuraux. Ceux-ci sont au nombre de cinq : les modes (il est à noter que, très rapidement, peut-être sous l'influence de Messiaen , Xenakis en vient à fabriquer ses propres modes), l'harmonisation en quartes parallèles caractéristique de la lyre du Pont-Euxin, la polyphonie particulière à deux ou trois voix de l'Epire, les rythmes aksaks [10] et la forme par simple juxtaposition — qui restera une des principales caractéristiques de toute sa musique. L'exemple, puisé dans le début de la . Procession vers les eaux claires; Procession vers les eaux claires, illustre la polyphonie épiriote telle que la concrétise le jeune compositeur.

Quant à la référence à l'avant-garde, dès le début, Xenakis se situe dans son sein et en constitue peut-être le plus singulier représentant : il n'y a aucune trace de dodécaphonisme orthodoxe ou d'une quelconque autre technique courante de l'avant-garde de l'époque. Il utilise très vite le principe de la section d'or sous sa forme la plus pratique, la série de Fibonacci [11] . Et, surtout, il s'oriente rapidement vers des techniques combinatoires, comme on peut le constater (exemple 1) dans le début d'une section de Zyia : pendant 50 mesures, le piano joue, dans des combinaisons variées, quatre notes (ou clusters), qui sont d'ailleurs systématiquement associées à des durées dont la composition en double croches forme les quatre premiers termes de la série de Fibonacci. Enfin, dans la . Procession vers les eaux claires; Procession aux eaux claires, apparaissent pour la première fois des polyphonies de types combinatoire, qui prennent l'allure de masses, procédé avec lequel Xenakis révolutionnera la musique des années 1950.

4. Metastaseis et Pithoprakta (1953-1956)

Le couvent de La Tourette

Avec . Le Sacrifice; Le Sacrifice, achevé en juillet 1953, Xenakis effectue le deuil de sa grécité et du projet bartókien. Cette pièce, qui inaugure une attitude expérimentale, est radicale : elle est fondée sur une idée unique et fort simple, un gigantesque mécanisme associant huit hauteurs figées dans le registre à des durées qui correspondent aux premiers termes de la série de Fibonacci. Conscient de l'énorme saut qu'il vient d'effectuer, Xenakis envoie cette partition à Pierre Schaeffer , afin d'être joué, mais aussi pour être admis au studio de musique concrète que dirige ce dernier. Passant par Pierre Henry , elle aboutit aux mains de l'homme qui constituera le plus solide appui de Xenakis pendant l'époque très importante où il n'a pas encore obtenu la reconnaissance : le chef d’orchestre Hermann Scherchen . En décembre 1954 — à l'occasion du fameux concert où est créé Déserts de Varèse et grâce auquel Xenakis prend contact avec ce dernier — a lieu la rencontre décisive entre les deux hommes. Scherchen s'intéresse d'emblée au jeune compositeur, même s'il ne propose pas de créer Le Sacrifice  : il demande à regarder un autre manuscrit que Xenakis a apporté avec lui — une partition géante, faisant un mètre sur soixante dix centimètres —, le manuscrit d'une œuvre qu'il vient d'achever [12] . Il promet de la diriger : la légende de Metastaseis est née. Scherchen ne dirigera finalement pas Metastaseis, qui sera créée en octobre 1955 sous la baguette de Hans Rosbaud à Donaueschingen, mais il créera ses trois compositions instrumentales suivantes (Pithoprakta , Achorripsis et Analogique ) et, jusqu'à la fin de sa vie, il lui procurera un soutien sans faille : non seulement en continuant à jouer sa musique (en 1966, il créera Terretektorh , quelques semaines avant sa mort), mais aussi, en lui commandant des articles pour la revue Gravesanner Blätter qu'il fonde en 1955 et en l'invitant à donner des conférences à Gravesano, où Xenakis aura l'occasion de rencontrer des musiciens et des scientifiques — il lui proposera même de dessiner pour ce lieu une salle de concert et un studio qui, faute de moyens financiers, ne verront pas le jour. Pour comprendre l'importance de ce soutien, il faut se représenter la situation de l'époque. Au début des années 1950, la vie musicale est encore largement dominée par le refus total de l'avant-garde. Quant à cette dernière, elle exclut tout ce qui n'est pas sériel. Que Metastaseis ait été créée dans un haut-lieu de la musique sérielle, semble tenir du miracle. Le premier éditeur de Xenakis, Schott, ne voudra pas publier immédiatement ses partitions, lui avouant franchement qu'il ne fait pas partie du courant principal de l'avant-garde. Et il faudra attendre 1963 pour qu'une œuvre du compositeur, Herma , soit jouée au Domaine Musical de Pierre Boulez [13] .

Chez Le Corbusier , Xenakis participe durant cette période à plusieurs projets, en s'impliquant d'une manière variée. Pour l'un d'entre eux, sur lequel il travaille de 1954 à 1957, son apport personnel est très important : le couvent de La Tourette. C'est la première fois que le célèbre architecte lui accorde une grande liberté. Entre autre, il réalise la façade, qui utilise des pans de verre ondulatoires. Par ailleurs, l'importance de ce projet tient aussi au fait qu'il s'effectue dans un parallélisme étroit avec l'œuvre musicale : ainsi, la façade est rythmée par la série de Fibonacci.

Metastaseis et les champs de glissandi

La relative brièveté de Metastaseis (1953-54, pour orchestre, environ huit minutes) n'empêche pas son caractère révolutionnaire. L'œuvre remet à l'honneur l'orchestre — pour des raisons aussi bien pratiques (difficulté de se faire jouer par des orchestres dominés par les néoclassiques) que liées à l'écriture qui, depuis au moins Mahler , a atomisé l'orchestration, la musique contemporaine préférait à l'époque les formations de chambre. Elle est composée de trois parties (et d'une coda qui renvoie à la première). La seconde, la plus conventionnelle pour les oreilles d'un musicien d'avant-garde de l'époque, pourrait être qualifiée de sérielle. Cependant, le sérialisme que met en jeu Xenakis, prolongeant le calcul combinatoire des dernières œuvres de la période de formation, est déjà sur la voie du calcul probabiliste : à l'époque où — avant de tenter l'« engendrement fonctionnel » prôné par Boulez [14]  —, les sériels se focalisent sur de petites matrices numériques, Xenakis épuise les possibilités du calcul combinatoire, ce qui lui permettra d'écrire, dans l'article qui sera commenté sous peu, que « le calcul combinatoire n'est qu'une généralisation du principe sériel » (Xenakis, 1955b = Kéleütha : 41). La troisième partie de Metastaseis a, quant à elle, une allure varésienne : elle consiste en une superposition de groupes instrumentaux très différents quant à leur alliage de timbres, leur registre et la nature sonore de leurs interventions.

La première partie (et la coda), est sans doute celle qui a provoqué le scandale de Donaueschingen. Elle contient un phénomène à proprement parler inouï pour l'époque, un phénomène qui, pendant longtemps, constituera la signature de Xenakis : des glissements massifs des cordes, pendant de très longues périodes. De toute évidence, le compositeur a lancé un pari — on voit mal comment il aurait pu prévoir le résultat sonore, puisque, avant lui, personne n'avait tenté de tels glissements massifs. Et le pari a marché, substituant à l'artisanat du créateur traditionnel — qui n'ose que ce qu'il entend « intérieurement », que ce que le « métier » lui autorise — l'attitude expérimentale. Pour « imaginer » ces gigantesques champs de glissandi, Xenakis s'est servi de son outil habituel : le dessin sur papier millimétré, qu'il a ensuite retranscrit sur portées selon les axes de la hauteur et du temps (l'exemple 2 fournit le dessin, par la main du compositeur, des glissandi de la coda). Par ailleurs, il a procédé à un autre bouleversement, tout aussi révolutionnaire, de l'orchestre : l'individuation totale des musiciens. Les quarante six instrumentistes à cordes jouent chacun leur propre ligne — on comprend ainsi la raison de la taille exceptionnelle du manuscrit de Metastaseis  !

« La crise de la musique sérielle »

En juillet 1955, dans le premier numéro des Gravesanner Blätter, paraît l'article qui brouillera définitivement Xenakis avec les sériels : il y annonce « la crise de la musique sérielle » dès son titre. La critique du compositeur est double. D'une part, il attaque la simplicité de la combinatoire sérielle — la série « est un chapelet d'objets en nombre fini », écrit-il (Xenakis, 1955b = Kéleütha : 40-41) — et il évoque la « généralisation du principe sériel » sous la forme du « calcul combinatoire » qu'il a déjà mis en œuvre dans la seconde partie de Metastaseis . D'autre part, il critique la « polyphonie linéaire » du sérialisme et introduit en musique le fameux mot de « masse » :

« La polyphonie linéaire se détruit d'elle-même par sa complexité actuelle. Ce qu'on entend n'est en réalité qu'amas de notes à des registres variés. La complexité énorme empêche à l'audition de suivre l'enchevêtrement des lignes et a comme effet macroscopique une dispersion irraisonnée et fortuite des sons sur toute l'étendue du spectre sonore. Il y a par conséquent contradiction entre le système polyphonique linéaire et le résultat entendu qui est surface, masse » (ibid : 41-42).

Cette seconde critique, qui prolonge en fait la première, se conclut par une phrase qui tient déjà du langage mathématique qu'il adoptera dans les écrits suivants : « Il en résulte l'introduction de la notion de probabilité » (ibid : 42).

Calcul des probabilités et masses : telles sont les deux innovations annoncées dans cet article. Les critiques de Xenakis à l'encontre du sérialisme ont sans doute un côté exagéré — climat polémique de l'époque oblige —, mais elles constituent un tremplin pour l'introduction de ces deux grandes innovations, qui sont fortement imbriquées. Par ailleurs, grand sera le retentissement de cet écrit, surtout à partir des années 1960, où la notoriété du compositeur ne cessera de croître et où il apparaîtra comme une alternative possible au sérialisme vieillissant [15] .

Pithoprakta : masses et probabilités

Les deux innovations en question sont concrétisées avec la seconde œuvre reconnue de Xenakis, Pithoprakta (1955-56 pour orchestre à cordes, deux trombones et percussion), qui constitue le chef-d'œuvre de cette période — peut-être de toute la production du compositeur. On peut considérer que les masses sont déjà présentes dans les champs de glissandi de Metastaseis , mais celles de Pithoprakta sont d'une extraordinaire richesse. L'une d'elles (mes.122-171), où les quarante six cordes sont totalement individuées, offre cinquante mesure d'une musique inouïe : tels des mondes parallèles, six groupes de timbres sont superposés ; à la surface, la masse semble statique, mais à l'intérieur, elle est animée d'une vie pléthorique. Elle démontre que, contrairement à ce que l'on aura pu dire, Xenakis ne délaisse pas le détail : ses masses ne sont nullement réduites à des contours extérieurs, comme ce sera le cas avec celles du premier Penderecki  ; elles n'ont rien de commun non plus avec les « textures » du Ligeti de la fin des années 1950 (et des années 1960).

Une autre masse, bien plus brève, à laquelle l'œuvre doit son titre (« actions probabilistes »), introduit le calcul des probabilités : aux mes.52-59, Xenakis calcule de la sorte — à la main, bien entendu, l'ordinateur n'étant pas encore disponible — la distribution de plus d'un millier de pizzicati-glissandi de cordes, qu'il répartit ensuite grâce à un graphique célèbre (cf. exemple 3). L'idée d'utiliser les probabilités en musique découle du génie analogique de Xenakis. L'intuition de départ vient de la comparaison entre une masse de sons ponctuels et un état gazeux, dont — on le sait depuis le XIXème siècle — le comportement des molécules est aléatoire. Pour fonder sa démarche, le compositeur évoque la « parabole des gaz » :

« Identifions les sons ponctuels, par exemple : pizz., aux molécules ; nous obtenons une transformation du domaine physique au domaine sonore. Le mouvement individuel des sons ne compte plus. L'effet massal et son évolution prennent tout un sens nouveau, le seul valable, lorsque les sons ponctuels sont en nombre élevé » (Xenakis, 1958 = Musique. Architecture : 19).

Cela l'autorise à utiliser, pour le bref passage en question, une distribution probabiliste (loi de Gauss).

En outre, Pithoprakta présente une innovation majeure supplémentaire : la technique de la transformation continue (que l'on pourrait aussi nommer processuelle), que le compositeur illustre dans son second article des Gravesanner Blätter par le sophisme de la calvitie : « Combien de cheveux faut-il enlever à un crâne chevelu pour qu'il devienne chauve ? » (Xenakis, 1956 = Musique. Architecture : 14). Cette technique va de pair avec une dernière innovation — et non des moindres : l'œuvre se déroule selon ce qui sera nommé ici « modèle du son ». La forme entière de Pithoprakta simule le déploiement d'un son qui évoluerait progressivement du bruit vers l'état le plus pur : la première section est composée de bruits obtenus par les musiciens à corde qui frappent sur la caisse de leur instrument et l'œuvre se conclut sur des harmoniques [16] . La création de Pithoprakta , en mars 1957 à Munich, est bien entendu chahutée par le public — « Les “sons glissants” trouvèrent leur continuation dans un concert de sifflets du public », écrivit un critique [17]  —, mais aussi par les musiciens pendant les répétitions ; Scherchen est obligé d'éliminer la dernière section (les harmoniques), truffée de silences.

5. L'expérience concrète et Musiques formelles  (1957-1962)

Le Pavillon Philips

Durant l'époque qui commence après Pithoprakta, Xenakis continue à mener une vie dure : « Travailler le jour dans cet atelier [de Le Corbusier ] puis, le soir, retourner au papier à musique ou graphique ou aller au 37 rue de l'Université sans répit, sans repos, sans sommeil, c'est vivre dans une révolution russe, grecque, constamment. La victoire est au bout de la course, à la mort. Si le danger de dessèchement moral n'était pas là pour me guetter, j'accepterais sans trouble. Ma figure magnifique comme une statue équestre ! L'ascétisme moderne est encore pire qu'aucun autre ascétisme attitré », écrit-il à Scherchen en 1957 (cité par Nouritza Matossian , 1981 : 140), année qui voit la naissance de sa fille, Mâkhi. Les signes de la reconnaissance tardent à venir, alors que, par la suite, ils ne cesseront de fondre sur lui. Il est très peu joué. Il faut attendre 1960 pour un premier signe : on lui demande de siéger au jury de la Biennale des Jeunes artistes à Paris. En 1961, il est invité à un voyage officiel au Japon, pays dans lequel il sera de plus en plus soutenu et qui le marquera profondément, comme on le verra lorsqu'il sera question de l'œuvre pour le théâtre antique. En 1962, il participe au Festival de musique contemporaine de Varsovie, où, à son grand étonnement, il apprend qu'il y est célèbre (chez les compositeurs qu'on regroupa à l'époque sous le nom de « jeune école polonaise »). La même année, Ligeti analyse Metastaseis à Darmstadt. Jusqu'en 1963, année avec laquelle débute une nouvelle époque, son statut reste fragile et il continue à gagner sa vie en tant qu'ingénieur.

Chez Le Corbusier , il joue un rôle très important dans la réalisation du Pavillon Philips à l'exposition universelle de Bruxelles (1958). Plus encore que le couvent de La Tourette, le Pavillon Philips — à l'occasion duquel il écrit aussi une petite œuvre électroacoustique, Concret PH , qui compose le hors-d'œuvre du spectacle conçu par Le Corbusier, le plat principal étant le fameux Poème électronique de Varèse  —, dont le projet démarre en 1956, établit un rapport très étroit avec la musique. Dans les surfaces de « paraboloïdes hyperboliques » qu'il propose (cf. exemple 4), se manifeste une préoccupation d'ordre général qu'il a déjà concrétisée en musique avec les champs de glissandi : la question de l'absolue continuité. Aussi, pour les dessiner, il s'inspire d'une section de Metastaseis (les mes.309-314) qui fait appel à des glissandi massifs en configurations géométriques gauches. Le Pavillon Philips jouera un rôle extrêmement important pour Xenakis : non seulement il y travaille véritablement en tant qu'architecte (et non seulement comme ingénieur), mais en outre, comme il déclarera à Bálint Varga (1996 : 24) : « C'était la première fois que je faisais quelque chose entièrement par moi-même ». Cela entraîne une conséquence fâcheuse : une terrible dispute avec Le Corbusier. Celui-ci refuse de reconnaître le rôle joué par Xenakis et veut s'approprier la paternité de la conception du Pavillon. Les choses finissent par se tasser, mais seulement momentanément. Car la situation dans l'atelier de l'architecte suisse empire — il paye mal ses collaborateurs et n'admet pas, comme on vient de le voir, de partager la gloire. Xenakis quitte finalement Le Corbusier  en septembre 1959. Jusqu'en 1963, où il bénéficiera de nouvelles sources de revenus, il est obligé de retourner à des calculs d'ingénieur, pour un autre architecte et à des fins purement alimentaires. Il est à noter que, si Xenakis avait pu poursuivre la voie engagée avec le Pavillon Philips, il aurait sans doute conçu ses « polytopes » dès cette époque — c'est ce que laisse présager un article qu'il publie en 1958, dont le titre éloquent est : « Notes sur un “geste électronique” ».

La musique concrète

Au début de cette section, il était question d'une autre adresse, le 37 rue de l'Université (à Paris) : c'est là que loge le studio de musique concrète de Schaeffer (et Henry ), qui deviendra rapidement le GRM (Groupe de Recherches Musicales). En effet, durant la période 1957-62, Xenakis réalise ses premières œuvres électroacoustiques : Diamorphoses  (1957), Concret PH  (1958), la bande d'Analogique  (Analogique B, 1959), Orient-Occident  (1960), Bohor (1962), ainsi que deux pièces retirées du catalogue, Vasarely (1960) et Formes rouges (1961). Cette production est importante à plus d'un titre. Elle offre un débouché au compositeur, qui, rappelons-le, n'a encore que très peu de soutiens dans la sphère de la musique instrumentale, monopolisée par les musiciens sériels. Au niveau musical, elle lui procure une expérience irremplaçable — ce qui ne signifie pas qu'il faille en déduire, comme on l'a souvent fait, que Xenakis s'est entièrement inspiré de ce nouvel univers pour composer sa musique instrumentale, puisque dès Metastaseis et Pithoprakta , avant donc l'expérience concrète, les sonorités qui lui sont spécifiques sont en place.

Xenakis assista sans doute au premier concert de musique concrète qui eut lieu en mars 1950. Dès 1953, il essaie d'entrer au studio et y rencontre des compositeurs tels que Michel Philippot ou François-Bernard Mâche , avec lesquels il se liera. Grâce à une recommandation de Messiaen et en ayant présenté la partition du . Le Sacrifice; Sacrifice (qui, comme on l'a vu, l'a aussi conduit à Scherchen ), il rencontre Schaeffer en septembre 1954, qui accepte de l'engager. Les relations avec celui-ci seront chargées. Il était à prévoir que l'homme pragmatique mais prônant l'abstraction qu'est Xenakis ne pouvait s'entendre avec Schaeffer, qui professait le « concret » mais développait une pensée théorique très abstraite (le Traité des objets sonores qu'il publia 1966 est, jusqu'à ce jour, l'étude la plus poussée d'une phénoménologie du sonore). En 1958, date à laquelle l'« inventeur » de la musique concrète tente de mettre au pas les « chercheurs » du GRM, se produit le premier conflit. En 1959, il a des mots très acides à propos d'Analogique  B. Enfin, en 1963, Xenakis, qui propose l'introduction des mathématiques et de l'ordinateur, quitte définitivement le GRM. Si Schaeffer avait été plus compréhensif envers son cadet, peut-être la France aurait-elle devancé les Etats-Unis, peut-être l'IRCAM n'aurait pas eu besoin d'être fondé [18] … Cette rupture explique pourquoi Xenakis écrira peu de musiques électroacoustiques durant les années 1960-70 : il ne sera pas facile de se procurer un autre studio.

Les trois pièces électroacoustiques les plus importantes, Diamorphoses , Orient-Occident  et Bohor témoignent de l'extrême originalité que Xenakis déploie aussi dans ce domaine. Bohor, que Schaeffer jugea insupportable en raison de son continuel fortississimo — mais à qui l'œuvre est dédiée ! — est, de même que Concret PH, conçu comme un seul son, mais en bien plus long : presque vingt deux minutes. Diamorphoses offrira à Messiaen l'occasion de rendre hommage à son ancien élève : « Ce sont de gigantesques et multicolores toiles d'araignées dont les calculs préalables se muent en délices sonores de la plus intense poésie », écrira-t-il (Messiaen, 1959 : 5). Quant à Orient-Occident, c'est peut-être le chef d'œuvre de Xenakis en la matière, même si cette composition porte moins son empreinte. Herbert Ruscol (1972 : 235), qui livre l'une des premières histoires de la musique électroacoustique, la considère déjà comme un classique. Par rapport aux autres pièces de Xenakis, elle étonne : elle fait appel à un temps suspendu, sans doute en raison du fait qu'elle fut conçue en tant que musique du film homonyme d'Enrico Fulchignoni . Le projet d'une certaine manière descriptif justifie aussi la « pureté » d'un grand nombre de sons de la pièce ainsi que certains rythmes qui préfigurent l'évolution future de Xenakis vers la pulsation.

Fonder la musique

Peut-être parce qu'il ne put poursuivre son travail au GRM, Xenakis mettra l'accent sur la production instrumentale dans l'image qu'il donnera de lui-même pour cette période. En 1963 paraît l'ouvrage qui aura un très grand retentissement et qui obtiendra un prix important l'année suivante : Musiques formelles. Ses cinq chapitres — issus, à l'exception du dernier, d'articles ayant paru dans les Gravesanner Blätter — correspondent à la chronologie des pièces instrumentales composées durant cette époque (1956-62). Mais il ne s'agit nullement d'un commentaire ou d'une analyse d'œuvres. Musiques formelles se présente comme un projet théorique ambitieux, sur lequel Xenakis continuera d'insister même lorsqu'il l'aura implicitement abandonné et qui créera par défaut l'image de Xenakis qui, malheureusement, domine aujourd'hui encore, à savoir : celle d'un compositeur qui, à tout moment, emprunte aux mathématiques des formules qu'il applique à la musique. Les premiers lecteurs ont dû être marqués par la teneur extrêmement technique de l'ouvrage. Quant au projet, il est indiqué dans le titre même : il s'agit de « formaliser » la musique, à la manière dont les mathématiciens ont, tout au long de ce siècle, tenté de « fonder » leur discipline, c'est-à-dire de trouver une axiomatique concise d'où tout pourrait être déduit.

Le recul permet aujourd'hui de situer sereinement Musiques formelles dans le contexte de l'œuvre entière de Xenakis ainsi que dans celui de l'époque. Dès cette période, l'entreprise de formalisation est loin de régir tous les aspects : il suffit de penser aux pièces électroacoustiques, qui lui sont apparentées, mais d'une manière sans doute empirique. La période suivante poursuit cette entreprise, mais en excluant de son champ encore plus d'aspects. Et, dès 1965, avec la publication de « La voie de la recherche et de la question » (ou, si l'on préfère, jusqu'en 1967-68, avec Nomos gamma ), l'entreprise est close, même si, comme il a déjà été dit, Xenakis continue de s'y référer dans ses écrits et entretiens. 1956-65 : tel est le cadre chronologique de la tentative de fonder la musique, ce qui, bien entendu, ne devrait pas limiter son importance. Car Xenakis ne poursuit pas son aventure en solitaire. D'un côté, il s'inspire largement de l'évolution des mathématiques de l'époque, qui en est arrivée au point culminant de la question des fondements, avec, en France, la domination du formalisme de l'école Bourbaki ; en 1960-61, il suit avec ardeur les cours du mathématicien Georges Th. Guilbaud , qui l'initie à la « logique symbolique ». De l'autre, s'il restera pendant longtemps le seul compositeur à avoir une vue aussi large des choses, les sériels s'inscrivent aussi dans le contexte de l'époque, celui de la naissance de ce que l'on a appelé structuralisme, en tentant, à leur manière, une axiomatisation de la musique, même si cette terminologie est peu fréquente dans leur discours [19] .

Le premier chapitre de Musiques formelles, après une partie autour de Pithoprakta , correspond à Achorripsis (1956-57, pour vingt et un instruments) : il s'agit d'une œuvre entièrement écrite en faisant appel au calcul des probabilités (sous la forme de la loi de Poisson, qui s'applique, comme c'est le cas de l'œuvre, à de faibles densités). Naît ainsi la « musique stochastique », qui correspond à la vision du monde suivante :

« L'explication du monde et par conséquent des phénomènes sonores qui nous entourent ou qui peuvent être créés nécessitait (et profitait de) l'élargissement du principe causal dont la base est formée par la loi des grands nombres. Cette loi implique une évolution asymptotique vers un but stable, vers une sorte de but, de stocoV, d'où vient l'adjectif stochastique » (Musiques formelles : 16).

Nous verrons ultérieurement que la généralisation des probabilités est liée à l'une des préoccupations majeures de Xenakis, à savoir, la création ex nihilo, l'acte démiurge intégral, l'originalité absolue. C'est pourquoi les calculs qui conduisent à la concrétisation d'Achorripsis sont introduits par une réflexion sur les « phases fondamentales » de la création musicale et sur les « hypothèses nécessaires » pour trouver le « minimum de contraintes » à celle-ci (cf. ibid : 33-36). Analogique (1958-59, pour neuf cordes et bande) et Syrmos (1959, pour dix huit cordes, l'œuvre ne sera créée qu'en 1965), sont en relation avec le second chapitre, basé sur la « stochastique markovienne », laquelle introduit un rapport entre des états probabilistes. A ce propos, Xenakis fait une hypothèse étonnante, celle de la nature « corpusculaire » du son : « tout son est une intégration de grains, de particules élémentaires sonores, de quanta sonores » (ibid : 61). N'ayant pas les moyens de la vérifier (il lui aurait fallu une synthèse du son par ordinateur), il l'applique métaphoriquement, au niveau de l'échelle instrumentale, aux cordes d'Analogique  A : durant toute la pièce, celles-ci ne jouent que des « grains sonores », c'est-à-dire de brefs arcos, des pizzicati ou des battuto col legno. Le résultat n'est pas convaincant, mais il faudra se souvenir de cette hypothèse lorsqu'il sera question de la notion de « sonorité » (nettement plus convaincante est la partie électronique d’Analogique, intitulée Analogique B, qui préfigure, en quelque sorte, la synthèse granulaire). Deux œuvres, Duel (1959, pour deux orchestres et deux chefs d'orchestre, la pièce ne sera créée qu'en 1971), et Stratégie (1962, pour la même formation), sont théorisées dans le chapitre suivant de Musiques formelles, qui fait appel à la théorie mathématique des jeux. Xenakis reviendra à cette théorie avec Linaia-Agon (1972). Le quatrième chapitre est le plus fertile en œuvres et c'est lui qui renseigne le plus sur le but poursuivi par l'entreprise de formalisation. Partant de la stochastique « libre » (celle d'Achorripsis ), le compositeur construit un algorithme : l'ordinateur est introduit, pratiquement pour la première fois, dans la musique, à des fins de création [20] . Il s'agit en somme de produire une sorte de « boîte noire » qui, après l'introduction de données, génère automatiquement une œuvre. Xenakis reprendra la même idée plus de trente ans après, avec le programme GENDYN du CEMAMu, à la différence que, dans ce programme, l'automatisme sera appliqué aussi au niveau de la synthèse du son. L'automatisme de Musiques formelles reste limité au niveau de la macrostructure (composition instrumentale), mais, pour bien marquer le coup, le compositeur produit une « famille » d'œuvres, intitulées ou sous-titrées ST (stochastique), qui comprend six pièces, dont une retirée du catalogue (Amorsima-Morsima) : ST/48 (pour orchestre, l'œuvre ne sera créée qu'en 1968), ST/10  (pour 10 instruments), ST/4  (pour quatuor à cordes), « réduction » de la précédente, Morsima-Amorsima  (pour piano, violon, violoncelle et contrebasse) et Atrées (pour 11 instruments) [21] . Xenakis avait établi des contacts avec François Genuys , ingénieur d'IBM, en 1961. En 1962, ce dernier lui offre quelques heures de calcul dans la société d'informatique américaine (les très grosses machines de l'époque n'avaient pas l'habitude d'être sollicitées à des fins musicales…). Lors de la création des premiers ST la même année à Paris, naît, dans la critique et sans doute le public, l'image d'un compositeur illuminé, prophète ou fou à lier, voire d’un technocrate !

Le dernier chapitre de Musiques formelles renvoie au chef-d'œuvre instrumental de l'époque, Herma , pour piano (1961), écrit pour le jeune musicien Yuji Takahashi , que Xenakis avait rencontré lors de son voyage au Japon. Ici, le compositeur fait appel aux opérations de la logique symbolique (théorie des ensembles) — qu'il prolongera dans l'époque suivante et qui se fixeront définitivement dans la théorie des « cribles ». Trois ensembles de hauteurs sont définis ; puis, par les trois opérations de l'union, de l'intersection et de la complémentarité, de nouvelles classes sont générées [22] . Ambition suprême de Herma : la succession (et superposition) des classes de hauteur pour la totalité de la pièce est commandée par une « fonction logique » que Xenakis résume sous la forme d'un « organigramme ». Lors de l'énoncé de chaque classe de hauteur, les notes sont distribuées au hasard : la logique symbolique n'a pour ambition que de produire des ensembles de hauteurs et non des relations entre elles. Un autre facteur très important intervient dans la pièce : la densité (nombre de notes jouées par seconde). Or, celle-ci étant en général fort élevée, l'intérêt principal de Herma, pour l'auditeur, n'est pas le suivi de l'enchaînement des classes de hauteur, mais le défilement de ce que Xenakis appelle « nuages de sons », qui varient en densité et en couleur (chaque classe de hauteur produit une couleur particulière, que l'auditeur n'est nullement obligé d'écouter analytiquement). L'exemple fournit le début de la pièce, qui va en se densifiant et qui, pour bien montrer que la composition stochastique subsume le sérialisme, commence par une série dodécaphonique. Lors de sa création française par Georges Pludermacher au Domaine musical (avril 1963), Herma sera bissée [23] .



[1] On retient en général le 29 mai 1922, mais : « Ce pourrait être aussi le 1er mai. Et l'année 1922 n'est pas sûre non plus puisque plusieurs erreurs et falsifications laisseraient à penser, par déduction, qu'il s'agit en fait de 1921 » (Maurice Fleuret, 1981 : 58).

[2] Sur ce musicien, cf. Efi Agrafioti, Aristotelis Kountourov, 1896-1969. Mikro chroniko zois gia enan agnosto tis ellinikis mousikis, Athina, Papagrigoriou-Nakas, 1999.

[3] Voici un résumé très sommaire de l'histoire politique grecque de 1940-49, qui permettra au lecteur de comprendre l'itinéraire suivi par Xenakis :

1) Occupation (novembre 1940-septembre 1944) :

-Novembre 1940-mars 1941. Victoire grecque contre l'Italie.

-Avril 1941. Défaite grecque contre l'Allemagne. Le roi et son gouvernement s'exilent. Succession de gouvernements de collaborateurs en Grèce.

-Sous l'impulsion du Parti Communiste Grec et de quatre partis socialistes et anti-monarchistes, création d'un front de résistance, l'EAM, qui organise une résistance non armée dans les villes (grèves et manifestations massives) et des opérations militaires avec son armée, l'ELAS, dans les campagnes. A la fin de la guerre, l'EAM/ELAS est l'organisation politico-militaire grecque la plus puissante.

2) Libération et intervention militaire britannique contre l'EAM/ELAS (septembre 1944-février 1945) :

-Dès le début de la guerre, le premier ministre britannique Winston Churchill a l'intention de restaurer la monarchie grecque — peu populaire — et souhaite soumettre le pays aux intérêts de l'Empire britannique. Conscient de la puissance de l'EAM/ELAS que, pendant la guerre, il est obligé de traiter comme un allié, il tente d'abord de le marginaliser. A présent que la Libération approche, il va tout mettre en œuvre pour le conduire à un affrontement avec les troupes britanniques.

-Septembre 1944. En prévision de la Libération, les Britanniques parviennent à organiser un accord qui leur est favorable, entre le roi et l'EAM/ELAS : le premier formera un gouvernement d'union nationale (incluant des membres de l'EAM) et le second, qui contrôle pourtant l'essentiel du pays à l'exception d'Athènes, laissera entrer les troupes britanniques dans celle-ci.

-Octobre 1944. Libération

-Novembre 1944. Les Britanniques empêchent le gouvernement d'union nationale de procéder à l'épuration (ils se serviront des anciens collaborateurs des Allemands pour imposer leurs vues) et le pressent pour aboutir au désarment de l'ELAS et à la constitution d'une nouvelle armée nationale qui leur serait favorable. L'EAM/ELAS hésite entre la soumission (espérant une transition démocratique) et la prise d'Athènes, qui vient d'être investie par les troupes britanniques.

-Décembre 1944, Athènes : événements dits « de Décembre ». Après une manifestation de l'EAM qui finit dans un bain de sang, affrontements durant tout le mois entre les troupes britanniques et l'EAM/ELAS (le 5 du mois, Churchill envoie le fameux télégramme à son chef militaire à Athènes : « Do not hesitate to act as if you were in a conquered city where a local rebellion is in progress »). Repli en dehors d'Athènes des forces de l'EAM/ELAS.

3) Epoque dite de la « terreur blanche » (février 1945-mars 1946) :

-Février 1945. Accords qui conduisent au désarment de l'ELAS en échange de la création d'une armée nationale qui intégrerait ce dernier, et de l'épuration (les anciens collaborateurs dominent toujours les corps de la police et de l'administration) en vue d'organiser des élections démocratiques.

-1945-46. Le gouvernement, duquel ont démissionné dès décembre les ministres de l'EAM, ne respecte pas ces accords : il organise la nouvelle armée en excluant les anciens membres de l'ELAS et persécute ou laisse persécuter par les anciens collaborateurs les militants de l'EAM/ELAS.

4) Guerre Civile (mars 1946-octobre 1949) :

-Mars 1946. Elections desquelles s'abstiennent les forces politiques de gauche.

-La situation est mûre pour la guerre civile : la droite (modérée) se soumet de plus en plus à la pression des anciens collaborateurs et des Britanniques, qui veulent en découdre avec les anciens partisans de l'EAM/ELAS, lesquels jouissent encore d'un large soutien de la population ; de leur côté, ceux-ci, pour sauver leur peau, reprennent peu à peu le chemin de la montagne.

-1946-1949. Guerre Civile qui se clôt par la défaite militaire des forces de gauche : en 1947-48, les Etats-Unis remplacent la Grande-Bretagne dans son rôle de puissance « tutélaire » et apportent un soutien logistique décisif au gouvernement.

(Principales sources consultées : Actes du colloque « Dekemvris tou 44. Neoteri erevna kai proseggisi », Athènes, Filistor, 1996 ; David H. Close (éd.), The Greek Civil War, 1943-50, Londres-New York, Routledge, 1993 ; Georges Contogeorgis, Histoire de la Grèce, Paris, Hatier, 1992, p. 405-415 ; Solonas N. Grigoriadis, Dekemvris, Emfylios, Athènes, K. Kapopoulos, 1989 ; André Kédros, La résistance grecque, Paris, Robert Laffont, 1966 ; Nikos Svoronos, Episkopisi tis neoellinikis istorias, Athènes, Themelio, 1981, p. 137-144 ; Une solution au problème grec, Mémorandum déposé par la coalition des partis de l'EAM à la Commission d'Enquête en Grèce du Conseil de sécurité de l'O.N.U., Paris, Comité d'aide à la Grèce, 1947 ; Haris Vlavianos, Greece 1941-49 : From Resistance to Civil War, Oxford, Mc Millan, 1992).

[4] « A Exarheia [quartier d'Athènes], plus précisément dans la rue Didotou, la compagnie “Lord-Byron”, constituée d'étudiants, se distingue par ses actes d'héroïsme » (André Kédros, La résistance grecque, op. cit., p. 507).

[5] Pourtant, rien n’empêche d’entendre le début de Metastaseis comme un poème symphonique, racontant une manifestation sous l’occupation ou encore la grande manifestation du 3 décembre 1944 avec laquelle ont commencé les « événements de décembre (1944) » : arrivée des manifestants (mesures 0-33), mots d’ordres (mesures 34-54), affrontement et mitrailleuses (mesures 55-85), dispersion des manifestants et plaintes des morts et des blessés (mesures 86-103). Xenakis lui-même, au début des années 1980, a souvent mis en relation Metastaseis avec ces manifestations (cf. par exemple 1981, « Dialexi », p. 239-240), sans bien sûr parler de « poème symphonique ».

[6] Xenakis a certainement composé d’autres œuvres, notamment avant son passage en France, mais elles ont été perdues. Ainsi, il a fait référence à une composition sur les Odes de Sappho, datant probablement de 1947. Il faut aussi mentionner une chanson (publiée in Maria Dimitriadou, Polemame kai tragoudame, Athènes, Panellinia Enosi agoniston tis ethnikis antistasis, 2002), « Orkos timis (tis spoudazousas EPON) » (paroles de : Periklis Papamathaiou), composée pour l’EPON, l’organisation de la jeunesse étudiante de l’EAM (je remercie Thomas Tamvakos pour cette « trouvaille »).

[7] Xenakis écouta du Schönberg et du Webern à l'occasion de concerts de Hermann Scherchen : il déclarera à Enzo Restagno (1988: 15) qu'il y trouvait l'« expression exacerbée d'une tradition pseudosentimentale, typiquement allemande ».

[8] Xenakis découvre Debussy, Ravel et Bartók joués au piano par un compagnon politique lors des événements de décembre 1944.

[9] Ainsi, il envoie une œuvre, la Colombe de la paix (1953, pour contralto et chœur mixte), à Bucartest, au Quatrième Festival mondial de la jeunesse — elle y obtient un prix, le premier que reçoit Xenakis. Cela n'empêchera pas par la suite le musicien Nicolas Nabokov (frère du célèbre romancier), qui milite dans des associations aux buts politiques opposés, de le soutenir et de l'aider à obtenir en 1957 son second prix, décerné par la Fondation Européenne pour la Culture  — une fondation financée par la CIA américaine — avec Metastaseis.

[10] Mesures composées asymétriques telles que 7/8 = 3+2+2.

[11] Suite de chiffres que l'on obtient en faisant la somme des deux précédents : 1, 2, 3, 5, 8, 13, etc… ; le rapport entre deux chiffres consécutifs tend vers le nombre de la section d'or.

[12] Pour le récit de cette rencontre, cf. N. Matossian, 1981 : 83-85.

[13] Symptomatique du climat qui règne dans l'avant-garde est la fameuse sentence que Boulez prononce en 1952 : « tout compositeur est inutile en dehors des recherches sérielles » (Pierre Boulez, « Schönberg est mort », repris dans Relevés d'apprenti, Paris, Seuil, 1966, p. 271).

[14] Cf. Pierre Boulez, Penser la musique aujourd'hui, Paris, Gallimard, 1963, p. 35-36.

[15] Jusqu'à récemment, les lecteurs de Xenakis ignoraient une autre critique, plus générale, à l'encontre du sérialisme que contient cet article, à l'occasion de sa conclusion, car, lors de sa reprise (1971) dans Musique. Architecture, celle-ci avait été supprimée, sans doute par Xenakis lui-même, afin d'éliminer les derniers résidus « humanistes » de sa pensée. Citons-la : « Un courant constant entre la nature biologique de l'homme et les constructions de l'intelligence doit être établi, sinon les prolongements abstraits de la musique actuelle risquent de s'égarer dans un désert de stérilité » (Xenakis, 1955b = Kéleütha : 43).

[16] Ces deux innovations font de Xenakis l’un des ancêtres directs de la musique spectrale : cf. M. Solomos, 2003b.

[17] E. Valentin, « Neues aus München », Neue Zeitschrift für Musik n°118, 1957, p. 287.

[18] Malgré ces malentendus, le compositeur et chercheur « concret » a su rendre hommage à Xenakis, en l'incluant notamment, dès 1967, parmi les pionniers du GRM (cf. Pierre Schaeffer, 1967: 81-82). Par ailleurs, dans un article, (cf. Pierre Schaeffer, 1981), il raconte avec beaucoup d'humour ses rapports tendus avec Xenakis.

[19] Le Penser la musique aujourd'hui de Boulez, publié la même année que Musiques formelles, contient une référence à la « méthode axiomatique » (cf. Pierre Boulez, Penser la musique aujourd'hui, op. cit., p. 28-29).

[20] Lejaren Hiller s'était déjà servi de l'ordinateur, mais en proposant une œuvre, l'Illiac Suite (1956), qui n'innove pas musicalement, puisqu'elle est fondée sur une codification du contrepoint dans le style de Palestrina. Par ailleurs, les travaux de Pierre Barbaud sont légèrement antérieurs à ceux de Xenakis.

[21] Chacune de ces pièces a un titre plus long : ainsi, ST/48, 1-240162 signifie pièce stochastique pour 48 musiciens, première avec cet effectif, calculée sur ordinateur le 24 janvier 1962.

[22] Exemple inventé très simple : soit la classe A qui comprendrait do, ré et mi et B avec ré, fa et sol : l'union de A et de B produit do, ré, mi, fa, sol ; leur intersection,  ; le complémentaire de A par rapport à B donne fa, sol.

[23] A ce concert, « comparé à l'enthousiasme soulevé par la pièce de Xenakis et son interprète, l'accueil réservé à la Troisième Sonate de Boulez fut moins spectaculaire » (Jésus Aguila, Le Domaine musical. Pierre Boulez et vingt ans de création contemporaine, Paris, Fayard, 1992, p. 31).