On Iannis Xenakis > Proceedings of the symposium Presences of Iannis Xenakis / Actes du colloque Présences de Iannis Xenakis

 

 

 

Présences de / Presences of Iannis Xenakis, Paris, CDMC, 2001, 268 p.

Sous la direction de Makis Solomos

Vingt cinq spécialistes internationaux —musicologues, interprètes, compositeurs, architectes ou philosophes— explorent dans cet ouvrage les multiples facettes de l’univers de Iannis Xenakis.

Introduction

Les 29 et 30 janvier 1998 eut lieu le premier colloque entièrement consacré à Xenakis, Présences de Iannis Xenakis. Ce colloque, qui se déroula à Paris, au Centre de Documentation de la Musique Contemporaine (CDMC) et à Radio France, réunit plusieurs spécialistes internationaux [1] , musicologues, interprètes, compositeurs ou architectes : Serge Bertocchi, François Delalande et Evelyne Gayou, Mihu Iliescu, François-Bernard Mâche, Makis Solomos (France), Angelo Bello, Ellen Flint, James Harley, Ronald Squibbs (USA), Peter Hoffmann, Philipp Oswalt, Elisabeth Sikiaridi (Allemagne), Agostino Di Scipio (Italie), Benoît Gibson (Portugal), Nouritza Matossian (Grande Bretagne), Haris Xanthoudakis (Grèce). On trouvera leurs communications dans le présent volume [2] , qui a été enrichi avec les articles de Joëlle Caullier, Matthieu Guillot, Jean-Luc Hervé, Antonio Lai, Ricardo Mandolini, Beatrix Raanan (France), Cãndido Limá, Helena Santana (Portugal), Linda Arsenault (USA), Carmen Pardo (Espagne), Sven Sterken (Belgique) [3] . En outre, deux écrits grecs de Xenakis ont été traduits pour cette occasion.

La littérature sur Xenakis constitue déjà un corpus important. De la thèse de doctorat à la référence occasionnelle, de l’analyse des théories à l’interprétation esthétique, de nombreux auteurs ont écrit, depuis le milieu des années 1960, sur l’œuvre de Xenakis, contribuant à l’émergence progressive de ce que l’on pourrait qualifier « d’études xenakiennes ». Par rapport à ce champ d’études, le présent ouvrage innove en donnant la parole à une seconde génération de commentateurs, lesquels introduisent de nouvelles problématiques et un nouveau style.

Présences de Iannis Xenakis s’ouvre par des articles portant sur deux périodes peu encore étudiées de Xenakis : sa période de formation (avant Metastaseis : début des années 1950) et celle des dernières œuvres (à partir de la fin des années 1980). Dans l’article « Problèmes de composition musicale grecque » que Xenakis, déjà installé en France, envoya à une revue grecque en 1955, il énonce clairement les préoccupations qui caractérisent sa période de formation. Pour reprendre les termes de François-Bernard Mâche à propos de la suite pour piano intitulée Six chansons de 1951, Xenakis a alors pour « ambition d'être à la Grèce ce que Bartók était à la Hongrie » [4] . « Du projet bartókien au son. L’évolution du jeune Xenakis » de Makis Solomos interroge ce projet sur la base d’analyses de certaines pièces de la période de formation. En outre, il pose la question de la transition avec les premières œuvres reconnues, transition qui mène à l’abstraction et à l’émergence du son. L’article de François Delalande et Evelyne Gayou, « Xenakis et le GRM », appréhende un autre moment fondateur pour Xenakis : son passage par le studio de Pierre Schaeffer. Cet article propose, d’une part, de relater les faits, c’est-à-dire les relations entre Xenakis et le GRM ; d’autre part, il tente de préciser les divergences entre Xenakis et Schaeffer. Dans « Formal analysis of the music of Iannis Xenakis by means of sonic events: recent orchestral works », James Harley effectue un survol des œuvres orchestrales du Xenakis des vingt dernières années. Il en analyse des extraits en s’intéressant plus particulièrement à leurs sonorités. L’étude « Xenakis et le “destin” de l’Occident » de Mihu Iliescu se centre sur le tournant qu’opère Xenakis durant sa dernière période. Il interprète ce tournant comme « un recentrage (pour certains déconcertant) qui l’amène à une réconciliation avec […les] “musiques dites musicales” ». L’article qui suit de Makis Solomos se focalise sur le même tournant, mais il l’interprète comme un symptôme de la prédominance, dans la dernière période de Xenakis, du geste sur la sonorité.

Le présent ouvrage réduit volontairement la place à accorder aux analyses des théories xenakiennes. Celles-ci sont aujourd’hui suffisamment connues et il ne sert à rien de continuer à répéter ce que Xenakis a déjà dit, d’autant plus que le temps est venu de retoucher (sans nécessairement effacer) l’image qui continue à dominer, à savoir celle du compositeur-« mathématicien ». Xenakis lui-même s’est seulement dit « usager des mathématiques » [5] et, par ailleurs, c’est surtout le livre Musiques formelles (et, encore plus, son extension américaine, Formalized Music) qui a contribué à forger cette image, alors que sa musique même est loin de généraliser la formalisation. La partie « théories » de ce volume est donc limitée et, surtout, elle propose des analyses de type nouveau. Ainsi, dans « Boulez-Xenakis : la conjonction des utopies », Ricardo Mandolini ose, dirions-nous, une comparaison avec Boulez et montre que les deux compositeurs partagent, dans les années 1950-1960, l’idée d’une formalisation de la musique comme quête d’utopie. Agostino Di Scipio se penche sur les œuvres électroacoustiques de Xenakis. Partant de l’hypothèse xenakienne de sonorités de second ordre à propos d’Analogique B, il propose une discussion sur les prémisses conceptuelles de la pensée algorithmique et probabiliste de Xenakis. Le texte de Benoît Gibson décrit d’une manière claire la théorie des cribles. Surtout, il en montre les applications concrètes, aussi bien au niveau des hauteurs qu’à celui des durées, dans de nombreuses compositions. « Notes on composing with the UPIC system: the equipment of Iannis Xenakis » d’Angelo Bello expose les résultats d’une recherche menée aux Ateliers UPIC durant 1995-1997, qui a consisté en l’implémentation de la modulation de fréquence sur le système UPIC. En conclusion de la partie « théories », Jean-Luc Hervé  suggère que les recherches de Xenakis sont proches du concept actuel « d’image sonore ».

La troisième partie du livre présente des commentaires de type esthétique. Ce type d’analyse est sous-représenté dans les études xenakiennes, puisque celles-ci, jusqu’à présent, ont porté en très grande partie sur les théories. Le premier article de cette partie, « Entre mythe et science : un contenu de vérité », de Joëlle Caullier, s’intéresse à la manière avec laquelle la matière peut acquérir une dimension spirituelle. Analysant le sens symbolique du matériau sonore d’une œuvre comme Nuits, Joëlle Caullier conclut à une double relation de Xenakis à l’univers : « l’émerveillement et le sentiment tragique ». Carmen Pardo se penche sur une caractéristique très forte de Xenakis : l’abstraction, qu’elle définit comme le désir d’unifier plusieurs domaines. Aussi, « la démarche de Xenakis est bien de rendre perceptible tout ce qui se passe du côté de l’abstraction et de la sensibilité, dans une nouvelle unité qui, cependant, maintient les différences ». L’article de Matthieu Guillot, « Monde et sons, écoute et inouï », constitue un commentaire du brillant texte de 1969 de Michel Serres, « Musique et bruit de fond » [6] . Dans « Xenakis et la pédagogie ou les mythes », Cãndido Limá débat de l’humanisme de Xenakis et, plus particulièrement, de ceux de ses aspects qui pourraient servir à la pédagogie.

Parallèlement au développement de commentaires de type esthétique, les nouvelles études xenakiennes opèrent un tournant vers les analyses d’œuvres. Là où, par le passé, on se centrait sur le discours théorique de Xenakis, les musicologues souhaitent aujourd’hui plonger dans le détail de ses compositions. Avec ses huit analyses dont certaines très minutieuses, Présences de Iannis Xenakis est révélateur de cette évolution. Ces analyses ont été classées selon l’ordre chronologique des œuvres qu’elles ont pour objet. Dans la première, Antonio Lai, se basant sur les analyses déjà existantes de Nomos alpha, applique les théories de Thomas Kuhn pour démontrer que cette pièce « fait partie de la phase extraordinaire d’aujourd’hui après la crise du paradigme sériel ». Son texte vise à révéler la « matrice disciplinaire » de l’œuvre, qui « est la classe des postulats théoriques [et qui a pour] fonction prioritaire [la] construction et [le] déploiement de la composition ». Le texte d’Helena Santana analyse d’une manière détaillée les mouvements spatiaux mis en œuvre dans Terretektorh. Elle expose également les liens du mouvement spatial avec le timbre et fournit plusieurs exemples d’espaces de timbre déployés dans cette composition. Les deux articles suivants prennent pour objet d’analyse une même pièce, Evryali, mais leur approche diffère radicalement. Ronald Squibbs déploie une analyse de type structural, pour mettre en évidence des catégories permettant de classer le matériau de l’œuvre et pour analyser la forme. Linda Arsenault envisage par contre Evryali comme une musique à programme, racontant la victoire de Persée sur la Méduse. L’analyse de Psappha par Ellen Flint part des considérations phénoménologiques de Thomas Clifton. Elle montre comment, subordonnant les questions de timbre à des questions rythmiques, Xenakis « créé dans Psappha une représentation auditive plurielle de l’expérience du temps et des limites psychoacoustiques de la perception humaine de la durée ». Beatrix Raanan pose la question du rôle capital du souffle dans N’Shima. Son analyse l’envisage à la fois au niveau de la microstructure (facture des textures) et de la macrostructure (élaboration des phonèmes hébreux confiés aux chanteuses de la pièce). Pour analyser XAS, Serge Bertocchi élabore un tableau synoptique décrivant avec précision le déroulement de la forme quant à des facteurs tels que l’échelle (cribles), la verticalité, le rythme, le registre, la nuance, l’instrumentation et le degré d’ordre/désordre. L’article de Peter Hoffmann explique les principes de la synthèse dynamique stochastique, qui se trouve à la base de Gendy3. Puis, il effectue une analyse de cette composition en exposant les résultats de sa resynthèse —resynthèse que rend possible le fait que la pièce est algorithmique— et en se centrant plus particulièrement sur quatre passages.

Depuis un certain temps, les études sur Xenakis architecte et sur ses réalisations multimédias que constituent les polytopes se multiplient. Le présent ouvrage a voulu accorder une place importante à cet aspect de l’œuvre de Xenakis. Cette cinquième partie s’ouvre par un texte de 1980 de Xenakis, « Espaces et sources d'auditions et de spectacles ». Se référant d’une manière implicite à ses polytopes, Xenakis étudie les relations entre le public et les sources quant à leur taille, leur localisation, leur nature et leur technologie. L’article « “Morphologies” or the architecture of Xenakis » d’Elisabeth Sikiaridi offre une introduction générale, mais détaillée, aux questions architecturales posées par Xenakis et à leur importance. Parmi les points qu’elle aborde : l’actualité du Pavillon Philips, les différences entre Le Corbusier et Xenakis, la faculté d’abstraction qui conduit Xenakis à rechercher une morphologie générale. Dans l’article qui suit, Philipp Oswalt explique que Xenakis a introduit le modèle d’un espace énergétique, opposé à l’espace statique euclidien sur lequel travaille l’architecture traditionnelle, ce qui lui a permis de développer une définition de l’espace « comme un champ sans cesse changeant de densités ». Dans « A la recherche de l’espace paramétrisé. Les surfaces réglées comme thème dans l’œuvre de Iannis Xenakis », Sven Sterken prolonge cette problématique et montre que, avec les surfaces réglées, l’architecture de Xenakis « considère les espaces comme des volumes enveloppés par des plis dynamiques ».

En annexe au livre, on trouvera, outre la liste des compositions musicales de Xenakis, une bibliographie commentée des écrits de et des écrits sur lui [7] . Cette bibliographie, par son degré important d’exhaustivité et par ses commentaires, espère devenir un outil de recherche pour les études xenakiennes à venir.

Je tiens à remercier le CDMC et notamment Marianne Lyon, qui a co-dirigé le colloque à la base du présent ouvrage, ainsi que Katherine Vayne. La Fondation Salabert a contribué financièrement à ce colloque, qui s’est tenu également avec la participation de l’Instituto Italiano di Cultura et de la Fondation Gulbenkian.

Makis Solomos

Table des matières

1. Sources et œuvres récentes

Problèmes de composition musicale grecque

Iannis Xenakis

Du projet bartókien au son. L'évolution du jeune Xenakis   

Makis Solomos

Xenakis et le GRM      

François Delalande

Formal analysis of the music of Iannis Xenakis by means of sonic events: recent orchestral works            

James Harley

Xenakis et le “ destin ” musical de l’Occident            

Mihu Iliescu

Notes sur les dernières œuvres de Xenakis    

Makis Solomos

2. Théories

Boulez-Xenakis : la conjonction des utopies 

Ricardo Mandolini

Clarification on Xenakis: the Cybernetics of Stochastic Music            

Agostino Di Scipio

Théorie des cribles      

Benoît Gibson

Notes on Composing with the UPIC System: The Equipment of Iannis Xenakis    

Angelo Bello

Les Images sonores xenakiennes : actualité de la pensée de Xenakis pour la création musicale aujourd’hui  

Jean-Luc Hervé

3. Esthétiques

Entre mythe et science : un contenu de vérité              

Joëlle Caullier

Le rôle de l’abstraction chez Iannis Xenakis                 

Carmen Pardo

Monde et sons, écoute et inouï             

Matthieu Guillot

Xenakis et la Pédagogie ou les Mythes             

Cãndido Limá

4. Analyses d’œuvres

Nomos alpha de Iannis Xenakis. La matrice disciplinaire et une évaluation contextuelle de l’œuvre               

Antonio Lai

Terretektorh : l’espace et le timbre, le timbre de l’espace    

Helena Santana

A Methodological Problem and a Provisional Solution: An Analysis of Structure and Form in Xenakis’s Evryali   

Ronald Squibbs

Iannis Xenakis's Evryali: A Narrative Interpretation

Linda M. Arsenault

The experience of Time and Psappha               

Ellen Flint

Le souffle et le texte : deux approches formelles convergentes dans N’Shima de Iannis Xenakis

Beatrix Raanan

XAS pour quatuor de saxophones        

Serge Bertocchi

Analysis through Resynthesis. Gendy3 by Iannis Xenakis    

Peter Hoffmann

5. Architecture et polytopes

Espaces et sources d’auditions et de spectacles           

Iannis Xenakis

“Morphologies” or the architecture of Xenakis          

Elisabeth Sikiaridi

Architecture of Densities           

Philipp Oswalt

À la recherche de l’espace paramétrisé. Les surfaces réglées comme thème dans l’œuvre de Iannis Xenakis          

Sven Sterken

Liste des œuvres musicales    

Bibliographie commentée         

Pour commander ce livre :

www.cdmc.asso.fr



[1] Sélectionnés par un comité scientifique composé de Pierre-Albert Castanet, Jean-Marc Chouvel, Peter Hoffmann, Mihu Iliescu, Sharon Kanach, Marianne Lyon, Marie-Hélène Serra et Makis Solomos.

[2] A l’exception de celles de François-Bernard Mâche, Nouritza Matossian et Haris Xanthoudakis. Le texte de François-Bernard Mâche a paru in François-Bernard Mâche, Un demi-siècle de musique … et toujours contemporaine, Paris, l’Harmattan, 2000, p. 302-321.

[3] Les tables rondes du colloque —avec certaines des personnes qui viennent d’être mentionnées ainsi que Patrick Butin, Jean-Marc Chouvel, Bruno Ducol, Sharon Kanach, Gérard Pape, Marie-Hélène Serra, Radu Stan (France), Charles Zachary Bornstein (USA), Rudolf Frisius (Allemagne), Enzo Restagno (Italie)— n’ont malheureusement pas été enregistrées.

[4] François-Bernard Mâche, op. cit., p. 306.

[5] Voici comment il s’exprimait dès 1969 : « Il y a tout de même une nuance : pour moi, un mathématicien est celui qui travaille avec les mathématiques et qui crée des théorèmes. Or moi, je ne crée pas de théorèmes. Donc, en ce sens pur, je ne suis pas un mathématicien, je suis plutôt un usager des mathématiques » (Iannis Xenakis in Jacques Bourgeois, Entretiens avec Iannis Xenakis, Paris, Boosey and Hawkes, 1969, p. 34).

[6] Michel Serres, « Musique et bruit de fond », Critique n°261, 1969, repris in Michel Serres, Hermès II. L'interférence, Paris, Minuit, 1972, p. 181-194.

[7] Pour la discographie, on consultera le catalogue Salabert établi par Radu Stan in www.salabert.fr.